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La sobriété, une solution pour tous?

Audrey Bérubé, AQCID
18 juin 2020

Au Canada et au Québec, l’alcool est la substance la plus consommée1. En 2017, 83% des québécois âgés de 15 ans et plus, soit plus de 8 Québécois sur 10, consomme de l’alcool. De cette proportion, 44% consomme une fois par semaine ou plus2. Ces chiffres portent inévitablement à réfléchir sur la place qu’occupe l’alcool dans nos habitudes de vie.

À la télévision, les personnalités publiques prennent un verre sans complexe dans une émission de variété, on leur sert un cépage en particulier en prenant bien le temps de nommer le vignoble et la cuvée, pour que les téléspectateurs puissent à leur tour profiter de la substance.

« Allez, seulement un verre ! », « pourquoi tu ne bois pas? ». Dans les soirées entre amis, les personnes qui décident de ne pas prendre d’alcool se font souvent demander de joindre le mouvement et de prendre un verre à leur tour. L’alcool étant associé aux activités sociales et aux festivités, il peut parfois être difficile d’être LA personne qui ne boit pas.

Les messages de prévention de la consommation à risque d’alcool dépeignent des individus festifs, qui sont en mesure de faire des choix. D’autres messages publicitaires liés à l’alcool dépeignent des individus raffinés, demandant conseil pour obtenir le meilleur produit possible dans « L’espace Cellier ». Notre société d’état distribuant l’alcool s’est même dotée d’un programme de fidélisation des consommateurs. On leur suggère des produits correspondant à leurs goûts et on leur propose des rabais lorsqu’ils sont de fidèles consommateurs. D’autre part, les messages liés à d’autres substances, notamment le cannabis, dépeignent une substance à risque, des consommateurs se faisant inévitablement surprendre par les effets, et ne pouvant prendre de décision éclairée quant à leur consommation.

« Santé! », dit-on en levant nos verres d’alcool. Pourtant, au Canada, les coûts (soins de santé, perte de productivité, justice pénale, etc.) reliés à l’usage de l’alcool sont de 14,6 milliards de dollars, soit 38,1% des coûts totaux annuellement, toutes substances confondues3. Et le double standard persiste, valorisant d’un côté la consommation d’alcool, démonisant de l’autre les substances comme le cannabis.

Il pourrait être pertinent de se demander pourquoi, comme société, nous réservons un traitement si chaleureux à une substance comme l’alcool.

En parallèle, nous entendons de plus en plus parler de la sobriété dans les médias. Elle est mise en valeur par le biais des applications ou les défis sans alcool. Des personnalités publiques, des comédiens, des humoristes et des athlètes en font la promotion à la télé, à la radio, dans les journaux, sur les réseaux sociaux. Plusieurs bienfaits y sont associés tels que l’économie d’argent, la perte de poids, un meilleur sommeil, une augmentation du niveau d’énergie, une meilleure humeur, etc. Ceux-ci peuvent être observés après quelques temps sans consommer d’alcool.

« Voyons ! Tout le monde aide ça prendre un verre ! » Malgré la montée en popularité de la pratique de la sobriété, peut-il être possible que la dépendance à l’alcool soit encore un sujet tabou, complexe à aborder? Est-il possible que notre rapport banalisant envers l’alcool complique les choses? La sobriété qui gagne en popularité offre l’opportunité de prendre conscience de sa consommation d’alcool et d’ouvrir le dialogue concernant l’usage de cette substance. En tant que consommateur, cette considération pour la pratique de la sobriété permet d’ouvrir la réflexion sur les habitudes de consommation et les raisons pour lesquelles nous pouvons consommer. Toutefois, est-ce que le discours s’adresse à tous les consommateurs ? La sobriété doit-elle devenir le but ultime de tous? Est-il possible que les discours tenus en lien avec la valorisation de la substance et les discours en lien avec la sobriété excluent un ensemble de personnes? Il existe différents types de consommation et les profils des consommateurs sont hétérogènes. Il est donc difficile d’imaginer tenir le même discours pour tous. Le courant de la sobriété met de l’avant un message : consommer, c’est une question de choix. Et la première étape, c’est souvent d’analyser ses propres habitudes de consommation. Avant tout, la consommation d’alcool reste un choix personnel au même titre que le choix de la sobriété. La promotion de la sobriété ne devrait pas se faire au détriment des personnes qui choisissent de porter un regard critique sur leur consommation et de continuer à consommer. Il est important de se questionner sur la surconsommation d’alcool autant qu’il est important d’être sensibilisé aux impacts de celles-ci. Toutefois, la réponse à ce questionnement est-elle la sobriété totale? L’important à retenir est la notion de choix éclairé. Et la capacité à faire un choix éclairé passe inévitablement par le fait de s’informer.

Peut-on se questionner sur l’effet de la médiatisation de la sobriété? Quels sont les objectifs derrière toute cette médiatisation? L’idée n’est pas d’arrêter de promouvoir la sobriété ou une pause de consommation d’alcool. L’idée est d’approfondir la réflexion sur le rôle que tient l’alcool dans notre société et sur les impacts de la dichotomie entre la promotion de l’alcool et l’atteinte de la sobriété. La dépendance à l’alcool est encore un sujet délicat au sein de la communauté. Avant de promouvoir la sobriété pour tous, peut-on ouvrir la discussion sur la façon d’y arriver?

Si votre consommation vous préoccupe, vous avez des questions en lien avec vos habitudes de consommation, le programme Alcochoix+ existe. Ce programme vise à redonner aux gens la capacité de prendre des décisions face à leur consommation d’alcool. La personne est l’experte et le programme est là pour l’accompagner à trouver des solutions qui lui conviennent.

Une adaptation de ce programme sera faite prochainement pour la consommation de cannabis. Restez à l’affût.


1 Portrait de la consommation d’alcool au Québec et au Canada. (2019). Consulté à l’adresse https://www.inspq.qc.ca/substances-psychoactives/alcool/dossier/portrait-de-la-consommation-alcool-au-canada-et-au-quebec
2 Éduc’alcool. (2017). Les québécois et l’alcool. Consulté à l’adresse https://educalcool.qc.ca/wp-content/uploads/2019/10/Les-Québécois-et-lalcool-2017.pdf
3 Groupe de travail scientifique sur les coûts et les méfaits de l’usage de substances au Canada. Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada (2007-2014), préparé par l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances et le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, Ottawa (Ont.), Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, 2018.

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