Crise des surdoses et réduction des méfaits
Des gens de tous les horizons consomment des substances. De toutes les classes sociales. La consommation fait partie de nos communautés depuis toujours. Dès l’antiquité, les arabes utilisaient l’opium pour le plaisir ou pour des raisons médicales1. Au début du siècle, la codéine était disponible en vente libre, souvent dans les sirops contre la toux. La cocaïne était utilisée largement par les psychiatres, notamment Sigmund Freud, psychanalyste très connu. La feuille de coca est utilisée traditionnellement depuis des millénaires dans certaines cultures d’Amérique du Sud, notamment au Pérou. Les Occidentaux utilisent l’alcool depuis longtemps, parfois par habitude, parfois pour le plaisir, parfois pour gérer un mauvais moment. Notre gouvernement a même créé une société d’État afin de distribuer cette substances, Société qui depuis récemment, nous offre des points de récompenses monnayables lorsque nous sommes de fidèles consommateurs.
En 2018, le gouvernement fédéral a officialisé la légalisation du cannabis, dans le but de protéger la santé et la sécurité publiques en permettant aux adultes d’avoir accès à du cannabis légal. Par la bande, il est attendu que ce changement législatif permettre d’ouvrir le dialogue sur le cannabis, de diminuer la stigmatisation, et d’améliorer grandement le financement en santé et services sociaux en lien avec la dépendance et l’usage de substance. La légalisation vise également à pallier à presque cinquante ans de prohibition, teintée de principes moraux et religieux désuets et dommageables.
On réserve un traitement différent aux personnes selon la substance qu’ils consomment. Ainsi, une personne qui choisit de consommer de l’alcool pourra le faire ouvertement, pour les raisons qui lui appartiennent, sans s’exposer au jugement. Mais les personnes qui choisiront de consommer une substance dite « illégale » (peu importe les raisons qui ont mené vers sa classification illégale) se heurteront sans équivoque à de nombreux préjugés et tabous. La crise des surdoses, ayant fait plus de 14 000 morts au pays depuis 2016, continue de tuer près de 10 personnes par jour. Et pourtant, le gouvernement refuse toujours de décréter une urgence de santé publique. Rappelez-vous la crise du SRAS en 2003. Rappelez-vous la vitesse d’action de nos gouvernements afin de sensibiliser la population et mettre en place des ressources de soutien et de prévention. Le SRAS avait tué 800 personnes dans le monde2. La crise des surdoses, quant à elle, est « présentement la principale cause de mortalité chez les 30-39 ans au pays3». L’espérance de vie chez les hommes entre 25 et 45 ans est en stagnation depuis trois ans au Canada, phénomène n’ayant pas été observé depuis 1921.4
Les différents partis politiques sont frileux à l’idée de prendre position pour protéger les personnes qui font l’usage de substances. La criminalisation des drogues, phénomène récent (années 60) mais bien implanté dans nos perceptions sociales, lie les mains de nos décideurs afin de prendre des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin aux dommages créés par la contamination des drogues, par le manque d’accès à des services de qualité en dépendances, par la judiciarisation et la stigmatisation des personnes qui utilisent des substances.
Le présent article porte sur l’approche de réduction des méfaits dans le domaine de la dépendance et la consommation de substance. Mais réduire les méfaits liés à quoi? Les acteurs en santé nommeront d’entrée de jeu qu’on doit réduire les méfaits liés aux drogues, notamment le risque de contracter une ITSS (infection transmissible sexuellement et par le sang), transmettre de l’information sur les risques des mélanges de substances, ou sur les modes de consommation à moindre risque.
Nous aimerions vous inviter plutôt à réfléchir aux méfaits du contexte social sur les personnes qui font l’usage de substance. Car parmi les personnes qui font l’usage de drogues, on note les consommateurs d’alcool, qui pour leur part ne vivent pas les mêmes méfaits liés à leur consommation. Être perçu de façon négative, être étiqueté, se faire refuser un emploi, ou devoir consommer une substance imprévisible dans un contexte non sécuritaire. Les méfaits de nos préjugés sur la vie des personnes qui consomment ont un impact. Les méfaits du double standard qu’on impose aux personnes qui consomment des opioïdes prescrits vs ceux à qui l’on refuse un renouvellement de prescription et qui se retrouvent sur le marché illicite.
Le contexte social actuel est inflexible à l’endroit des personnes qui choisissent de consommer. Le fait de criminaliser la consommation de drogues a échoué tous les objectifs fixés au départ. Chaque année, de nouvelles substances apparaissent sur le marché, substances dont on ne peut connaître la composition exacte. Nous nous retrouvons dans un contexte où les drogues sont contaminées, et où les personnes doivent utiliser les substances dans des contextes non sécuritaires. Comment se fait-il qu’un système perdure, malgré qu’on en connaisse non seulement les conséquences mais aussi les pistes de solution?
La réduction des méfaits, c’est travailler à ce que les personnes puissent profiter des bienfaits et réduire les méfaits potentiels de l’usage de substances, qu’elles soient légales ou non. C’est aussi travailler à réduire les méfaits de la consommation, qu’ils soient sociétaux ou individuels. La réduction des méfaits, c’est donner la parole aux personnes qui sont affectées par les politiques sur les drogues, c’est-à-dire les personnes qui consomment. La réduction des méfaits, c’est agir selon des principes humanistes et égalitaires, en se basant sur les faits scientifiques, et non sur des principes moraux et religieux.
1 Wojciechowski, J. (2005). Pratiques médicales et usages de drogues : linéaments de la construction d’un champ. Psychotropes, vol. 11(3), 179-207. doi:10.3917/psyt.113.0179.
2 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/125125/sras-rapport
3 Simon Coutu, RAD, Crise des surdoses au Canada, 23-09-2019.
4 https://www.ledevoir.com/societe/sante/555688/la-progression-de-l-esperance-de-vie-au-canada-plombee-par-la-crise-des-opioides